Consacrer un ouvrage documenté à l’Easy Listening en 2016, c’est le pari un peu fou que seul un passionné comme semble l’être Erwann Pacaud pouvait se lancer. Revenue brièvement à la mode dans les années 90, la musique légère avait de nouveau repris une place plus confidentielle, pour redevenir parfois cible de sarcasme. Au fond, une musique « facile à écouter » n’est-elle pas aussi facile à faire par la même occasion? Et l’on peut entendre parfois d’aucuns prétendre qu’il n’y aucune créativité dans ce style de musique.
C’est, bien évidemment, méconnaître à la fois l’étendue et l’histoire de ces musiques qui ont eu et ont encore de l’influence sur des artistes pop rock ou hip hop… D’où la nécessaire rétrospective en 100 albums qu’a minutieusement concoctée Erwan Pacaud, agrémentée d’une introduction historique particulièrement intéressante. De l’origine de la Muzak, du nom de la société qui créa cette musique d’ambiance appelée « musique d’ascenseur » à la Library music, tout en passant par Exotica et le Space Age Pop, l’on découvre toutes les palettes de l’Easy listening… Si le concept de musique utilitaire, censée ne pas être écoutée mais juste entendue, est à la fois effrayant et amusant, il devient alors bien plus intéressant dès lors que l’on renverse le processus et l’on prête une oreille bien plus attentive à un musique qui recèle bien plus de trésors que l’on eût pu imaginer.
C’est que derrière ces musiques pour barbecue, pour enfants ou pour que les femmes fassent un striptease à leur mari, se cachent des compositeurs souvent audacieux, qui ont bénéficié du tout nouveau format LP (Long Player) ce qui leur permettait d’avoir le temps d’imposer une réelle ambiance musicale : on trouve en quelque sorte les premiers albums concepts dans l’Easy Listening.
Parmi la centaine de disques proposés, il y a quelques titres dont l’écoute pique un peu, il faut bien l’avouer. Mais en grande majorité on y découvre de très belles perles (voire plus bas). De plus chaque disque est parfaitement commenté et très bien écrit, ce qui ne gâche rien. On regrettera juste la place trop étroite qui est faite à la Library Music, et l’on s’étonne de l’absence d’albums de Janko Nilovic, Jack Arel, ou Jacky Giordano pour ne citer qu’eux (alors qu’ils sont cités dans l’introduction), notamment pour les novices qui liraient le livre…
Easy Litening Exotica & Autres Musiques Légères est un livre indispensable, encore une fois grâce aux éditions Le mot et le reste, le seul en français dans la matière. Une lecture pour qui n’a pas peur de passer son temps devant Deezer ou Spotify afin de découvrir des musiques qu’on n’aurait jamais pensé un jour écouter. C’est aussi le point de départ pour courir les brocantes et les disquaires et se jeter sur toutes les pochettes avec une femme dévêtue, un casque d’astronaute transparent, une ambiance exotique ou encore des vampires… et y espérer trouver le trésor caché.
Et maintenant quelques titres à découvrir :
Love me, extrait du harpiste Jonny Teupen, dans l’album Harpadelic (1969)
Blind Man de Dave Pike dans l’album Jazz for the Jet Set (1966)
Hong Kong Blues du fondateur de l’Exotica, Martin Denny dans l’album Exotica (1957)
Misirlou de Terry Snyder an the All Stars dans Persuasive Percussion (1959)
Une excellente interview d’Erwann Pacaud pour The Drone
le pari « un peu fou » ? il n’y a rien d’un peu fou là-dedans, plus rien « d’un peu fou » d’ailleurs chez le mot et le reste, qui se contente d’aligner les « coups éditoriaux » genre le rock au féminin, le rock en bretagne, moondog, et maintenant l’easy listening. Tout pourri tout pourri, mes chers disques obscurs, domage !
Tout pourri aussi ce commentaire de pur hater … la ligne éditoriale de Chez le mot et le reste est inchangée depuis dix ans, elle permet de découvrir des albums pour un style donné, je ne vois pas en quoi ce serait des « coups éditoriaux » si le contenu est bon… Et comme dans toutes maison d’édition, il y a des bouquins qui sont meilleurs que d’autres. Celui sur l’easy listening, style lequel je ne suis pas totalement novice, est très bien écrit, et le travail de recherche est aussi considérable. Car oui, ce n’est pas de tout repos de se documenter sur des albums, des artistes qui sont tombés dans l’oubliette, c’est encore plus difficile de rendre ça intéressant…
L’important dans ce genre de livre, c’est : est-ce que ça me fait découvrir de la bonne musique, ou pas? en l’occurrence, Easy Listening le permet…