Il est particulièrement notable que ce livre des excellentes éditions Le Mot et le Reste, paru en 2012, atterrisse dans mes mains au moment même où j’ouvre ce blog. Ce n’est pas particulièrement un hasard, cela faisait quelques mois que j’avais envie de le lire. Cependant, je ne m’attendais pas à tomber sur une théorie qui eût pu tout simplement m’influencer de sorte à ce que, précisément, je n’entreprisse pas de faire des chroniques sur des disques rares.
Et pour cause. Retromania est un essai brillant, mais qui pointe du doigt la satanée manie de ce début de siècle à constamment revisiter le passé, que ce soit dans la mode, le cinéma, le design… et surtout la musique. On ne peut le contredire. Le livre (de 500 pages) égrène toutes les reformations, revival, copies… depuis 2000, et c’est assez impressionnant.
L’arrivée d’internet y est pour quelque chose, bien entendu. Ses plateformes de téléchargement illégales, puis légales, et surtout Youtube ont apporté sur un plateau à des archéologues musicaux des reliques qu’il n’eussent pu avoir en une vie entière au siècle dernier. La première décennie de ce vingt-et-unième siècle a été essentiellement consacrée à l’exhumation. Ce qui fit la joie des collectionneurs (le chapitre les concernant, est à la fois juste, et drôle), mais qui influença aussi, de manière durable, les musiciens. On ne citera pas tous les artistes « sonnant » exactement comme les disques du passé, ou du moins s’en approchant grandement, mais il suffit de parler des White Stripes, des Black Keys, et plus récemment de Toy ou de Jacco Gardner pour s’en convaincre.
Pour Simon Reynolds, depuis le mouvement rave, la musique n’a rien produit de foncièrement nouveau, hormis dans des sous-sous-genre qui peuvent aussi s’apparenter à de la copie. C’est un des postulats du livre. Il compare de manière un peu cavalière la période 2000-2010 à celle du début des années 70, qui, pour Reynolds, montrent une certaine apathie. Ce sur quoi il me semble difficile de le suivre, même si on comprend qu’après les fructueuses – et changeantes – années 1966-1969, on eût pu, en étant un jeune un peu exigeant de l’époque, s’ennuyer musicalement, quelques semaines tout au plus. Reynolds oublie au passage que la première décennie 2000 a été un peu plombée musicalement par Radiohead. En effet, Kid A et Amnesiac, semblait montrer la voie. Pensez donc, de la pop qui avait absorbé toute l’électronique des années 90 pour la synthétiser en un son réellement nouveau. La décennie ne s’en est pas remise, même pas Radiohead (ça, c’est ma théorie).
Reynolds pense aussi que, si l’on se penche de manière aussi extravagante sur le passé, c’est aussi parce que l’on n’arrive plus à s’inventer un futur. Et cela commence par l’imaginaire. Dans les années 60-70, le futur était matière à fantasme, et l’on pouvait s’imaginer toute sorte de futurs possibles. Il y avait une vision futuriste, vision qui manquerait cruellement à notre présent. Raison pour laquelle nous aimons puiser dans les idées futuristes du passé (un futur qui n’est donc jamais arrivé) ce qui se retrouve particulièrement dans le design. Aujourd’hui, nous ne nous préoccupons plus du futur, car les progrès technologiques semblent être microscopiques – et peut-être aussi que le futur semble moins réjouissant. C’est à la fois l’idée la plus intéressante du livre (qui en regorge) mais qui donne du coup, une théorie étrange : on s’intéresse trop au passé, car le passé avait un présent meilleur et une vraie vision du futur. En gros le futur, c’était mieux avant.
C’est tout le paradoxe de Retromania. Un livre touffu, scientifique, qui décortique toute l’histoire du recours au passé depuis les années 1970 (qui donna, avec les Crate digger, un mouvement vraiment nouveau, le hip hop); qui ne cesse de fustiger ce recours au passé ces dix dernières années mais qui finit par avouer, en fin de compte, que le passé, c’était quand même mieux, car il y avait un futur, au moins. Et que le présent s’y conjuguait vraiment présent. Vous me suivez?
Il y a peut-être, effectivement, un deuil à faire. Il faut se faire à l’idée que la musique n’accompagnera sûrement plus, ne sera plus l’initiatrice des changements de sociétés. Ce qui a été vécu dans les années 60 ( 3 ans seulement séparent A hard day’s night de Sgt Peppers) ne se reproduira plus. Les générations qui ont vécu les révolutions comme le Punk, le hip-hop, ou la techno n’en reverront peut-être plus. Il peut y avoir des nouveaux albums, de nouveaux artistes, mais pas forcément de nouvelles musiques. Simon Reynolds a, lui, une lueur d’espoir. Il s’y accroche.
En attendant, écouter de la bonne musique, suffira, il me semble, à satisfaire la plupart des mélomanes. Et nous pouvons donc continuer à déterrer des disques obscurs !
Interview de Simon Reynolds (Inrocks)
Doit-on totalement adhérer au syndrome Rétromania de Simon Reynolds ?
Le blog Retromania de Simon Reynold (En Anglais)
Très intéressant, cela donne envie de lire le livre.