Les filles c’est fait pour faire l’amour, La drogue, 7 heures du matin, Fallait pas écraser la queue du chat … Si de nombreux de titres pop-rock français des années soixante, pour la plupart inconnus, ont commencé à refaire surface au début des années 2000, sous forme de compilations, la pratique avait commencé quelques années plus tôt.
On serait tenté d’attribuer la paternité de cette résurrection à Sasha Monett, digger passionné, qui édita sous le manteau la première compil « Swinging mademoiselle » en 1999. Il s’agissait à l’époque de recenser tous les titres chantés par de jeunes femmes qui sonnait un peu rock où qui avaient ici une guitare fuzz, là un sitar, ce qui donnait toute la saveur « Swinging » à ces morceaux chantés en français. C’est ainsi que l’on (re)découvrit Charlotte Leslie, Chlotilde et tant d’autres… Mais Sasha Monett a été inspiré par la série outre atlantique « Girls in the garage » qui, dès son volume 3, donne une touche exotique à sa playlist en incluant le titre de la française Jacqueline Taïeb : 7 heures du matin.
Ce titre est « le hit » perdu, devenu emblématique de cette scène française oubliée, dont la musique sonnait bien plus rock’n’roll qu’on ne l’avait imaginé. Il y a d’ailleurs eu comme une véritable vénération de ce titre de Taïeb, au point qu’il se retrouve dans pléthore de compilations, comme une sorte de fil rouge. Pourtant, 7 heures du matin est, à mon sens, complètement surestimé. Certes le riff est dansant, mais répétitif, les paroles ne volent quand même pas haut, mais le titre a le mérite d’être écrit par Taïeb et de ne pas être juste une reprise.
D’autres compilations ont vu le jour avant, et pendant, la série Swinging Mademoiselle. La plus ancienne semble être « Ils sont fous ces gaulois », dans laquelle se retrouve, outre l’inévitable Jacqueline Taïeb, ceux qui vont aussi devenir cultes car, eux, ont fait un album arrangé par Jean-Claude Vannier et produit par Bernard Estardy (excusez du peu) : Les Fleurs de Pavot. Album culte s’il en est, jamais officiellement réédité, Les Fleurs de Pavot est vraiment une exception : un album psyché, relativement homogène, avec de très très bons titres , mais qui connut le même insuccès que la série de single ou EP d’autres compatriotes qui ne sont pas tombés dans les mièvreries yéyé.
De l’aveu de Sasha Monett, si le premier disque des célèbres compilations Wizzz du label Born Bad Records est sorti après le volume 1 de Swinging Mademoiselle, cela a été conçu en même temps, « Personne n’a copié personne. ». Il semble donc qu’il y ait eu, à peu près au même moment, comme une forme d’engouement pour ces trésors cachés du patrimoine rock français.
Mais le succès, même underground, de ces redécouvertes, ont donné des envies aux majors qui ont, elles aussi, sorti leur propres compils, Femme de Paris, pour Wagram et Pop à Paris (oui, tout se passe à Paris, en France, c’est bien connu) pour Universal.
Le premier volume de Femme de Paris est compilé par Chritian Eudeline, qui va théoriser le concept d’Anti-Yéyé, à travers un livre paru en 2006, qui retrace le parcours d’une vingtaine d’artistes, des plus obscurs (Pollux, Les Boots) aux plus célèbres (Michel Polnareff, Antoine) qui ont, à la grande époque des yéyés, enregistré des disques bien plus rock que ceux de Johnny, pourtant estampillé rocker. Livre foisonnant et passionnant, qui contient, ce qui ne gache rien, une superbe discographie détaillée qui ravissent les collectionneurs.
Dix ans après, d’autres compilations ont vu le jour, mais, il faut bien avouer, la source des titres inédits des années 60 commence sérieusement à se tarir. Et tout est maintenant trouvable sur YouTube. Pourtant, le succès du troisième tome de Wizzz paru en 2015, ainsi que les éditions de Psyché en France pour le Disquaire Day (qui certes fait la part belle aux années 70), tendent à montrer que l’attrait pour le french garage est toujours existant.
À y écouter de plus près, tous ces titres exhumés ne bataillent dans la même cour. Certes il y a toujours un frisson qui parcours notre corps lorsque nous entendons un riff bien gras, une guitare fuzz bien sale que nous n’avons jamais entendus auparavant… mais les aficionados de groove rare frissonnent aussi pour les compils qui viennent d’Italie, d’Iran ou du Cambodge. En quelque sorte, la découverte de l’inconnu auditive prime souvent sur la réelle qualité de l’objet écouté. Et l’on se prend parfois d’affection pour des titres qui, il faut bien l’avouer, ne cassent pas toujours trois pattes à un canard. Mais quand l’affection est là, que voulez-vous, difficile de se détacher.
Il y a surtout quelque chose de particulièrement frappant en France, c’est la propension assez grande de vouloir absolument faire des chansons drôles ou de prendre des voix bizarres… et ce alors que l’instrumentation est parfois fabuleuse.
A l’instar de Avec les Oreilles de Monique Thubert, qui débute comme un morceau de Janko Nilovic mais qui se révèle être une farce pas vraiment drôle – mais avec un groove d’enfer.
Pourtant d’autres ont réussi habilement à mêler humour, ou attitude un peu rock sans dénaturer la musique. Le parfait exemple est Messieurs Richard de Bordeaux et Daniel Beretta, Psychose, farce sublime, et surtout La Drogue, réussite de bout en bout, sont de vraies perles dont on aurait eu tort de se priver. Mais nous sommes déjà à la fin des années 60…
Bien évidemment, le répertoire anglo-saxon est abondamment pillé pour être chanté en français, avec une traduction souvent loin du texte original. Mais si Les Lionceaux, Ronnie Bird, et d’autres, s’inspirent de titres des Beatles, des Who, Rolling Stones, Them etc., d’autres titres, moins connus, sont donnés à des chanteuses, parfois créées de toute pièces..
Parmi celle-ci, la Belge Delphine, qui pose sa voix sur la bande son du très peu connu In the Past des obscurs We The People, sous le titre La fermeture éclair
Mais il faut se rendre à l’évidence, la plupart de ces artistes ne dépassa le stade de l’EP, quand certains n’enregistrent même qu’un seul titre un peu rock dans une discographie plus proche de la variété… Jusqu’en 1968, les albums qui ne sont pas une compilation de singles, mais des vrais albums qu’on pourrait catégoriser dans le rock français, se comptent sur les doigts de la main. Outre Les Fleurs de Pavot cités plus haut, l’album folk rock de Chistian Blondeau alias Long Chris, alias Chris* – Chansons Bizarres Pour Gens Étranges (1966), Sullivan – Le Pays Des Merveilles (1967), il faudra attendre la fin de la décennie avec l’explosion des groupes progressifs, et blues psyché, pour voir des groupes devenus plus matures, plus sérieux (voire trop parfois) enregistrer de vrais albums, parfois en français (Le Système Crapoutchik…) mais aussi, et de plus en plus, en anglais (Variations, Zoo…).
Aussi, si nous rendons hommage aux multiples compilations, officielles ou officieuses, qui abordent de manière parfois anarchique le french freakbeat des sixties, c’est d’une part pour saluer le travail de « digger » que certains ont effectué avec passion, nous épargnant de longues heures d’écoutes fastidieuses pour trouver le graal, et, d’autre part, car il n ‘y a pas véritablement d’autre manière de pouvoir posséder en vinyles (ou en cd) ces titres sans y laisser des mois de salaires (encore que, certaines compilations se vendent aussi très cher).
Lucas Parax
Ecoutez la playlist anti-yéyé ici
Discographie non exhaustive des compilations « french sixties »
Swinging Mademoiselles (3 volumes)
Wizzz (3 volumes)
Les incontournables compilations de Born Bad Records, agrémentés de livrets, et avec des chouettes pochettes !
- Wizzz! (Psychorama Français 66-71) Born Bad Records BB 037 France 2011 (réédition du premier pressage en 2000)
- Wizzz! Volume 2 – Born Bad Records BB 0013 – 2008
- Wizzz! Volume 3 – Born Bad Records – BB069 – 2015
Trouvable chez votre disquaire favori !
Pop à Paris (5 volumes)
Belle série publiée par Universal, qui comprend aussi des « yéyés » connus comme Claude Françoiss, Johnny ou Eddy Mitchell avec des titres surprenant pour leur répertoire… d’autres choses sont plus discutables comme la version de Gaston de Nino Ferrer par… André Verchuren. Les cd de la première édition comprenaient des livrets que l’on ne retrouve plus dans les vinyles réédités. Dommage.
- Pop A Paris Vol.1 Contact – Universal Music France 069 109-1 2003, réédition 2010
- Pop A Paris Vol.2 À Tout Casser Universal Music France – 069 110-1 2003, réédition 2010
- Pop A Paris Vol.3 C’est La Mode Universal Music France – 069 111-1 2003, réédition 2010
- Pop A Paris Vol.4 Minet Jerk – Universal Music France – 069 112-1 2003, réédition 2010
- Pop A Paris Vol.5 S.O.S. Mesdemoiselles – Universal Music France – 069 113-1 2003, réédition 2010
Ils sont fous ces Gaulois (4 volumes)
Pionnère dans le genre, même si pas vraiment officielle, cette série contient de vraies raretés !
- Ils sont fous ces gaulois Vol 1 – Disques Ronnie (Unofficial Release,) 001 – 1997
- Ils sont fous ces gaulois Vol 2 – Disques Ronnie (Unofficial Release,) 002 – 1997
- Ils sont fous ces gaulois Vol 3- Disques Ronnie 003 – Pressed By – Gramofonové Závody – AE 17629 – 1999
- ils sont fous ces gaulois Vol 4 -Disques Ronnies 004 – 2006
Girls in the Garage (2 volumes consacrés aux frenchies)
Volume 10 – Groovy Gallic Gals! Romulan Records – UFOX30 ou PAPRLP1010 (Record Store Day 2017)
Volume 12 – (14 charming french swinging ladies) – Saperlipopette Records – SRP-012, Romulan Records – SRP-012 2010
French Cuts (3 volumes)
Une série conçue en Allemagne, avec beaucoup de titres qui se retrouvent ailleurs et quelques morceaux un peu plus rares… les troisième volume sort un peu du lot
- The Atomic Café: French Cuts Panatomic – PALP001 – 2002 (première parution en 1999)
- French cuts 2 – Panatomic – PALP002 – 2002
- French cuts 3 – Panatomic – PALP006 – 2005
Femmes de Paris (3 volumes)
- Femmes De Paris – Groovy Sounds From The 60’s – Vol. 1 – Anthology’s – ANT220123, Wagram Music – 3071992 – 2002
- Femmes De Paris – Groovy Sounds From The 60’s – Vol. 2 – Anthology’s – ANT220830 – 2003
- Femmes De Paris – Groovy Sounds From The 60’s – Vol.3 – Anthology’s – ANT040132-308 524 2 – 2004
Ultra Chicks (6 volumes)
Ultra Chicks est une série de compilation parue en CD entre 2000 et 2002 au canada, pas vraiment sur un label, donc rien de vraiment officiel. Ce sont des swinging mademoiselle de France, du Canada et d’ailleurs… mais chantant en français.
- Ultra Chicks Volume 1 Filles In The Garage! – Not On Label (Ultra Chicks Series)
- Ultra Chicks Volume 2 Lolita Ya-Ya!
- Ultra Chicks Volume 3 Baby Pop!
- Ultra Chicks Volume 4 Yé Yé Girls –
- Ultra Chicks Volume 5 Chicks à Gogo!
- Ultra Chicks Volume 6 Vous Dansez Mademoiselle
Psyché France (3 volumes)
Série qui sort régulièrement pour les disquaires days, plus axée sur les 70’s que les 60’s, les annotations sont malheureusement succinctes. De belles découvertes quand même… (d’autant que les versions sur les plateformes de streaming sont étoffées d’inédits)
- Psyché France 60-70 Warner Music France – 0825646320820 – 2014
- Psyché France 70’s Vol.2 – Warner Music France – 0190295993443 – 2016
- Psyché France 1960-1970 Volume 3 – Warner Music France – 0190295860905 – 2017
Trouvable chez votre disquaire !
Autres compilations
- Névralgies Particulières, Fuzzed Up Lost 60s French Punk! – Mauvaise Graine – MG001 – 2015
- Groove Club Vol. 1: La Confiserie Magique – Lion Productions – LION 109 – 2011
Compilation peu connue qui contient de vraies raretés et que l’on trouve encore facilement.
- Quel Organ ! – Disques Georges Profünd – GP 001 -2008
- Got The Go!!! Volume 1 -La Classe Internationale – LCI001 2008
- Dim Dam Dingue! Les Disques Cosmogol – DDD1 – 2008
- O Toi, Beatnik… – Out Of Limits – 2000
- Les Caves And Co…. Se Rebiffent – Out Of Limits -2005
- Dou da dou -The unlimited French lost catalogue – Phase One. – Vadim Music- VAD004 -2005
Pas vraiment rock, cette compilation du label très regretté Vadim Music, montre encore une autre voix au groove français, dans le sens le plus large du terme. Indispensable !
-
- Psychegaelic – French Freakbeat – Not on Label – 1999
Une compilation culte, qui possède encore des titres qu’on ne retrouve pas ailleurs…
- Génération Perdue – Rock Français 1965-66 –LCD – LCD 16-2 – Jukebox Magazine – 30006 – 1996
Avec sa très moche pochette réalisée en word Art, Génération Perdue reste quand même une des rares compilations qui met à l’honneur les groupes typiquement garage français : indispensable.
Pour approfondir le sujet
La page Facebook Swinging Mademoiselle
Bibliographie
Anti-yéyé: Une autre histoire des sixties – Chritian Eudeline Denoël 448 pages