Skip Spence Oar

Quel exercice délicat de conter l’histoire de l’unique album solo d’Alexander « Skip » Spence, Oar. Tout d’abord car, pour l’auteur de ces lignes, il fait partie des dix albums qui seraient emmenés sur une île déserte, dans l’hypothèse farfelue qu’on l’emmenât sur une île déserte avec, pour seul bagage, dix disques, une île toutefois pourvue d’électricité et de matériel pour écouter de la musique. Exercice délicat aussi, car on a déjà tout dit sur Oar. Dans le monde des inconnus Skip Spence est une star, et Oar objet d’idolâtrie. Par exemple, il fait partie des 1001 albums qu’il faut avoir écouter dans sa vie, recueil discographique pourtant plutôt mainstream (qui préfère, ô sacrilège, McCartney 1 à Ram). Il se retrouve dans toutes les discographies d’obscurs, à commencer par notre bible à tous Rock, Pop (un itinéraire bis en 140 albums essentiels) de Philippe Robert. Un tribute de l’album est sorti en 1999 et Beck l’a repris intégralement avec des gens comme Feist ou Jamie Lidel en 2010. Et Lester Bang le cite à côté du deuxième album des Count Five qui n’a jamais existé.

Oar est un album culte.

Imaginons seulement Alexander Skipe Spence, sortant de 6 mois d’hôpital psychiatrique. Ok, il avait défoncé une porte à coupe de hache, menaçant un des membres de son groupe Moby Grape, groupe dont il était cofondateur en tant que guitariste, après s’être extirpé du Jefferson Airplane, pour lequel il était batteur. Ok, il avait défoncé cette putain de porte, ok, il avait pris du LSD, mais le label Columbia, bon prince, lui file 1000 dollars pour aller enregistrer un putain d’album qu’il a écrit en détention psychiatrique. 1000 dollars, mec ? De quoi s’acheter une moto ! Alexander Skip Spence,  il veut enregistrer à Nashville. Et pour se rendre à Nashville, il faut une moto mec, pas des putains de musiciens ! Alors le Skip, il achète sa moto, il part de New York, et il affronte le froid de décembre, et il parcourt les States sur sa moto. Le froid le congèle, il n’a pas acheté un cuir suffisamment chaud pour rouler. Durant ces 900 miles, il pense à son album, il jouera de tous les instruments, pas besoin de putains de musiciens, tout est gravé, mec, tout est prévu. Le froid, la moto, la hache, le lsd, la country, rien n’est prévu, tout sera Oar.

Enregistré en moins d’une semaine, de la seule main de Spence qui joue tous les instruments, Oar peut laisser de marbre. La première chanson Little Hands, semble être une ritournelle plusieurs fois entendue, plus on l’écoute toutefois, moins il nous semble l’avoir déjà entendue.

Piper is piping
Drummers are drumming
Little hands clapping all over the world

S’ensuit, Cripple Creek, un morceau de country à la voix extrêmement grave de ce jeune homme d’à peine 24 ans, puis une suite de morceaux empruntant tantôt au folk, tantôt au psychédélisme et qui se termine par l’incontrôlable Grey/Afro.

 

Même si l’on pense à Syd Barrett, l’écoute de Oar est toutefois moins éprouvante. En effet, dans The Madcap Laughs on sent bien que les autres musiciens rament pour rattraper Barrett qui part en sucette, Spence, lui,  arrive très bien à se rattraper tout seul en jouant de tous les instruments, ce qui, en fin de compte, est beaucoup plus flippant.

Enfin, bon, soyons honnête, je parle de l’album tel qu’il est sorti. Lorsque l’on écoute les chutes que Sundazed a mises en bonus lors de la réédition de l’album en 1999; on entend bien qu’il s’en faut de peu pour que tout dérape. Et d’ailleurs ça dérape.

Oar fut la plus mauvaise vente de Columbia. Ce qui, paradoxalement, participa à l’aura du disque des années plus tard. Skip Spence mena une véritable vie de clochard que ses quelques incartades dans la musique n’auront pas réussi à changer. Il mourra en 1999 d’un cancer du  poumon, juste avant la sortie du tribute More Oar. Un tribute  inégal, où déjà le jeune Beck sort son épingle du jeu, en transformant une chute de l’album abracadabrante en un morceau absolument dément. Je vous laisse juge


Vous trouverez des tonnes d’informations sur Oar, par exemple cet article d’un auditeur visiblement éprouvé, un (double) autre ici, intéressant.
Vous trouverez OAR ici sous toutes ses formes, Cd avec les bonus et vinyles remasterisés… en revanche, le 33T original vaut son pesant d’or.